La corrélation d’images numériques pour la mesure de fissures

Eikosim

Dans le cadre d’essais de propagation de fissure sur matériau composite, les solutions de corrélation d’images EikoTwin ont été utilisées afin de répondre à un besoin client. Un script de post-traitement, exploitant les données de mesures issues de EikoTwin DIC, a été développé par EikoSim pour apporter satisfaction au client grâce à une solution sur-mesure.

Ce travail s’inscrit dans le cadre du stage de fin d’études d’ingénieur de Paul Nicolino chez EikoSim, diplômé de l’INSA Lyon en 2021 en Génie Mécanique.

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Essais normalisés et anciennes méthodes de mesure

Dans l’industrie aéronautique, la bonne connaissance du comportement en rupture des matériaux utilisés dans la conception de pièces mécaniques est essentielle. Dans le cas particulier d’une propagation de fissure, il existe 3 modes de fissuration (I, II et III, voir ci-dessous). 

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Il existe plusieurs types d’essais permettant d’étudier un mode de fissuration particulier ou une combinaison de modes. Les travaux réalisés dans cette étude utilisent uniquement l’essai DCB (Double Cantilever Beam). Cet essai est régulièrement choisi dans les travaux de recherche car il se caractérise par le fait qu’il ne sollicite que le mode I.  

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Selon la norme ISO 25217 (« Determination of the mode 1 adhesive fracture energy of structural adhesive joints using double cantilever beam […] specimens ») utilisée pour ce projet, l’éprouvette est laissée libre d’un côté (extrémité droite sur le schéma et la photo ci-dessous ). La propagation de fissure est générée en appliquant un effort vertical sur chaque bras, via des mords rotulés montés sur une machine de traction.

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Connaître la longueur de fissure au cours de l’essai DCB permet notamment de déterminer le taux de restitution d’énergie critique en mode I, noté

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Physiquement, le taux de restitution d’énergie correspond à l’énergie que libère la fissure pour avancer d’une unité de surface. Cette grandeur permet ainsi de quantifier la capacité d’un matériau à résister à la propagation de fissure (parfois appelée ténacité).

Une première méthode expérimentale permettant de mesurer la longueur de fissure consiste à utiliser des jauges placées sur la zone de fissuration et dont les filaments sont coupés les uns après les autres lorsque la fissure se propage. Cette méthode présente l’inconvénient majeur de ne pouvoir fournir qu’un résultat discret de l’avancée de fissure au cours de l’essai, avec relativement peu de points de mesure et pour un temps d’instrumentation long.

Une autre méthode couramment utilisée pour mesurer consiste à acquérir des images d’essais où l’éprouvette peinte en blanc est placée devant un fond noir afin de distinguer nettement la fissure. On vient ensuite repérer manuellement le pixel en pointe de fissure au cours de l’essai ce qui permet, en connaissant la taille physique du pixel, de déterminer la longueur de fissure à chaque image.

Cette pratique comporte plusieurs inconvénients. D’une part, le relevé manuel de la position du pixel en pointe de fissure pour chaque image est fastidieux et coûteux en temps. Il paraît peu viable de réaliser un suivi de fissure sur une dizaine d’essais comportant chacun plusieurs centaines d’images. D’autre part, le risque d’erreur et l’incertitude de mesure sont non négligeables. Il existe aussi une subjectivité de mesure dépendant de l’opérateur relevant la position du pixel.

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Dans ce contexte, Safran Aircraft Engines a exprimé sa volonté d’améliorer sa procédure d’essais DCB en souhaitant automatiser la mesure de longueur de fissure pour chaque essai par corrélation d’images. C’est à ce stade qu’interviennent les solutions techniques développées et proposées par EikoSim, en particulier le logiciel EikoTwin DIC utilisant la corrélation d’images numériques.

Principe de la corrélation d’images numériques

La corrélation d’images numériques est une méthode de mesure qui utilise des images de caméras pour suivre les déplacements et déformations d’un solide pendant son mouvement, comme par exemple une fissure en propagation. Elle est très souvent utilisée pour suivre et exploiter des essais physiques dans la recherche et dans l’industrie mécanique, et pour des applications très diverses, de l’éprouvette matériau en passant par des éprouvettes « sous-systèmes » (assemblages boulonnés, pièces technologiques) jusqu’à de très grandes structures (portion d’un avion ou d’un hélicoptère, ponts routiers ou ferroviaires et structures nucléaires). Elle présente comme avantage le fait d’être non destructive, sans contact, et applicable quel que soit le matériau ou la forme de la structure observée, à condition que la région d’intérêt puisse être filmée par des caméras.

Dans le cadre de ce projet, les essais réalisés seront mono-caméra, et nous ne nous intéresserons donc qu’à la 2D-DIC.

La CIN consiste à comparer deux images numériques d’une structure prises par une seule caméra à deux instants distincts de déformation, un instant dit « de référence » et un instant dit « déformé ». Cette comparaison permet d’obtenir le champ de déplacement 2D à l’origine du mouvement entre ces deux instants sur l’ensemble de la surface visible par la caméra. Pour permettre la convergence de l’algorithme de CIN et surtout pour pouvoir observer les différents états de déformation que vit la pièce pendant l’ensemble de l’essai, on ne peut pas se contenter d’une image avant l’essai et d’une image après. Un ensemble d’images intermédiaires sont prises et la comparaison se fait successivement entre toutes les images dites « déformées » et l’image initiale dite « de référence ».

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Le principe fondamental de la technique de corrélation d’images est basé sur l’hypothèse que la distribution des niveaux de gris dans l’état non déformé d’une imagette reste la même dans son état déformé. Finalement, c’est la distribution de niveaux de gris, caractéristique d’une imagette, qui permet de la distinguer des autres ; d’où l’importance d’un mouchetis suffisamment aléatoire pour assurer que la distribution de niveaux de gris de chaque imagette soit unique. Étant donné que le mouchetis suit le mouvement matériel, afin de respecter l’hypothèse précédente de conservation des niveaux de gris, la grille d’imagettes se déforme avec la pièce.

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Ces principes résument succinctement la technologie qui se cache derrière EikoTwin DIC. Nous vous renvoyons aux autres articles de blog pour plus de détails :

Application de la corrélation d’images aux essais de propagation de fissure DCB

Ce projet porté par Safran Aircraft Engines et EikoSim est un parfait exemple d’application du logiciel EikoTwin DIC pour un essai mécanique normalisé.

Conformément à la méthodologie du logiciel, après avoir importé les images d’essai et sélectionné le maillage de mesure, on effectue un pré-étalonnage qui permet d’aligner le maillage de mesure sur l’image de référence.

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On peut ensuite procéder à l’étape “Déplacements” où le logiciel mesure les déplacements à chaque pas de temps en exploitant la série d’images chargée dans chaque caméra. On peut ici observer le champ de déplacement vertical pour une image donnée.

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Il est également possible de visualiser le champ des résidus de corrélation. Ces derniers fournissent une information sur la qualité du calcul effectué, et permettent en outre de visualiser l’avancée de fissure après la mesure de corrélation d’images.

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Afin d’obtenir les meilleures données de mesure possibles, nous préconisons certaines bonnes pratiques pour ce type d’essai : 

  • Vérifier la cohérence entre le modèle numérique et l’éprouvette réelle (mêmes dimensions, même orientation spatiale, …).
  • Cadrer la caméra de manière à visualiser une longueur d’éprouvette pertinente par rapport à la longueur que l’on souhaite mesurer.
  • Réaliser un mouchetis pertinent en fonction des dimensions de l’image et de l’éprouvette.
  • Mettre en place un arrière-plan de couleur unie distincte de celle de l’éprouvette.
  • Vérifier l’éclairage : la luminosité doit être homogène sur toute l’éprouvette (pas de zones d’ombre ni de reflets) et doit la rendre bien discernable de l’arrière-plan. Il faut limiter au maximum les variations de luminosité sur l’éprouvette malgré ses déplacements durant l’essai.
  • Capturer une série d’images sans mouvement imposé afin de déterminer les incertitudes de mesure par la suite (« noise floor »).

Pour déterminer la taille idéale du mouchetis à appliquer sur l’éprouvette, nous mettons à disposition une feuille de calcul sur notre site internet.

Avancée de la pointe de fissure avec le script de post-traitement

Une fois l’étude complétée, DIC rend possible l’exportation des résultats de déplacement et de déformation sous forme de fichiers au format .csv. Cette fonctionnalité s’avère particulièrement utile dans le cadre de ce projet afin de déterminer l’avancée de fissure au cours de l’essai DCB.

La solution développée ici présentée est un script de post-traitement Python conçu à la demande de Safran Aircraft Engines permettant de déterminer la longueur de fissure au cours de l’essai DCB en exploitant les données exportées depuis EikoTwin DIC. Son principe de fonctionnement est le suivant :

  • Une étude de l’essai doit préalablement être faite avec le logiciel EikoTwin DIC afin d’exporter les données de déplacement de l’éprouvette.
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  • Une fois le calcul des champs de déplacement terminés avec DIC, on exporte les données de déplacement.
  • Ces données sont organisées de la manière suivante : à chaque image est associée un fichier .csv regroupant les déplacements et la position selon X, Y et Z de chaque nœud du maillage de mesure.
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  • Avant d’exécuter le script, l’utilisateur précise les valeurs de deux ordonnées, 
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afin de sélectionner deux rangées de nœuds de part et d’autre de l’interface de fissuration.

  • Les nœuds d’abscisse égale sont ainsi associés par paire. Pour chaque paire et à chaque image, le script détermine la différence de déplacement vertical : 
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  • On obtient ainsi la différence de déplacement vertical pour chaque paire de nœuds, à chaque image.
  • Pour chaque image, lorsque la différence de déplacement vertical atteint le critère d’ouverture de fissure*, on relève la position horizontale associée.

*Le script considère qu’il y a ouverture de fissure lorsque le déplacement vertical relatif entre deux nœuds d’une même paire dépasse 0,1 mm, c’est-à-dire :

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La valeur de 0,1 mm a été choisie d’après l’incertitude de mesure des déplacements sous DIC.

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En répétant l’opération précédente pour chaque image, on détermine la position horizontale où est atteint le critère d’ouverture de fissure tout au long de l’essai. En d’autres termes, on détermine la longueur de fissure au cours de l’essai

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  • En sortie de script, l’utilisateur obtient le graphe d’avancée de fissure en fonction des images d’essai, ainsi qu’un fichier .csv contenant ces données.

Il est important de noter que la position de la fissure est exprimée dans le repère du maillage de simulation.

En combinant les résultats fournis par le script avec les données d’efforts relevées sur la machine de traction, on obtient le type de graphe suivant :

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Effort mesuré et position de la fissure en fonction du numéro d’image

Sur les premières images, la fissure est considérée comme étant à position constante ???? = 35 mm. En réalité, cela signifie que la fissure n’est pas encore apparue dans le maillage de mesure, qui est projeté sur toute l’épaisseur de l’éprouvette. La fissure progresse de manière continue jusqu’en ???? = 50 mm à cause de la pré-fissure.

On constate effectivement la corrélation entre les discontinuités d’efforts appliquées et les sauts de fissure (propagation « en escalier »).

La connaissance de la position de la pointe de fissure est essentielle dans la détermination expérimentale de . Si ce travail ne rentre pas dans le cadre de ce projet, on peut néanmoins montrer un exemple de résultat obtenu grâce aux données de longueur de fissure.

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GIC (obtenu avec la Simple Beam Theory) en fonction de la position de fissure

On retrouve un comportement propre à une propagation de fissure de type stick- slip, qui justifie l’utilisation de la formule de GIc issue de la Simple Beam Theory. La norme ISO 25217 indique qu’il n’est pas pertinent de chercher à moyenner GIc entre les valeurs d’arrêt et les valeurs d’initiation. En revanche, on peut déterminer les valeurs moyennes de GIc entre les valeurs d’arrêt et les valeurs d’initiation séparément.

Synthèse

La mesure par corrélation d’images numériques avec EikoTwin DIC, combinée au script de post-traitement, permet d’une part de s’affranchir de la subjectivité propre à la mesure de longueur de fissure visuelle. D’autre part, le dépouillement des essais est désormais grandement automatisé grâce au script, et il est possible d’augmenter encore le gain de temps en utilisant le mode Batch d’EikoTwin DIC.

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